Dans le cadre des résidences Hors les murs du MO.CO.
En partenariat avec Château Capion
Samuel Spone est né en 1992, il vit et travaille à Montpellier, Arles et Sète.
Diplômé en 2019 de MO.CO Esba (Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Montpellier), Samuel Spone est le troisième artiste accueilli dans le cadre des résidences du MO.CO. Esba à Château Capion. C’est pour lui l’opportunité de bénéficier de sa première exposition personnelle.
Entretien avec Samuel Spone
En août dernier, Rahmouna Boutayeb, chargée de projets au MO.CO. s'entretenait avec Samuel Spone, troisième artiste issu du MO.CO. Esba à bénéficier d’une résidence et d’une exposition dans le cadre du partenariat entre le MO.CO. et Château Capion.
Votre exposition "Corridor" fait suite à une résidence de création (d’un mois et demi) dont vous avez bénéficié au "Château Capion" cet été, pouvez-vous nous dire comment vous avez développé vos recherches dans ce contexte singulier ?
Les premiers jours, j’ai uniquement testé de nouveaux outils et supports, j’ai confectionné des mélanges et analysé les différentes réactions, en retenant les formes qui me semblaient intéressantes.
Les espaces d’exposition sont vraiment particuliers, il y a une chapelle au sous-sol et une ancienne bibliothèque, j’ai donc pensé mes productions en fonction de chaque pièce et je me suis focalisé sur un grand diptyque, pour la salle principale.
Pourquoi avez-vous choisi de l'intituler « Corridor » ?
Mes dessins évoquent des espaces intérieurs clos, fermés, construits sur des perspectives et quand je peins à l’atelier du château, mes peintures forment vraiment un couloir autour de moi.
De plus, ce mot me fait penser au cinéma, à des images qui défilent. Corridor, je le vois au sens figuré du lieu, d'un passage qui pourrait vous amener vers un espace plus cérébral.
« Korridor » c’est aussi le nom d'un musicien qui produit une électro assez « transcendante », c’est ce que j’aime écouter quand je peins. D’ailleurs, pour souligner ce lien avec la musique, j’ai invité deux amis compositeurs qui joueront en live le jour du vernissage. Ils sont eux aussi dans cette vibe « Ambient / Deep techno ».
Vous faites souvent référence au cinéma, à la littérature, à la peinture. Quelles sont les créations qui ont particulièrement influencé votre pratique ?
Il y en a tellement, mais ce qui est intéressant, c’est que je pioche un peu partout et je finis toujours par trouver des liens entre ces artistes, comme si il y avait une généalogie entre mes multiples références. J’aime mettre en correspondance des courants artistiques éloignés.
De manière générale, je suis assez touché par les ambiances dystopiques, certains films de David Cronenberg, de David Lynch, les Mad Max, ou les superbes explosions dans des films d’animations comme celles d’Akira, ou de Violence Jack ; il y a aussi les romans comme Le Porte-Lame de William Burroughs et L’île de béton de J.G Ballard. J’ai l’impression que ces fictions sont de plus en plus palpables aujourd’hui et tous ces univers me renvoient directement au graffiti : les no man’s land, les autoroutes la nuit, les tunnels de voie ferrée... Je regarde beaucoup ce qui se fait dans la rue.
Le geste a une place prépondérante dans votre pratique. Comment cela se traduit-il entre vos peintures de grands formats, voir monumentales, vos dessins et vos photogrammes?
D’une certaine manière, toutes mes productions sont liées à la calligraphie car les outils que j’utilise sont des outils élaborés pour l’écriture dont j’ai détourné l’usage au fil des années. Cependant, les dessins présentés sont comme « scellés », très contrôlés, alors que mes peintures sont plus libérées et très « accidentées ».
Ce qui m’intéresse dans la calligraphie, c’est son caractère indélébile : lorsqu’on ne peut pas effacer les lignes, le geste prend toute son importance.
Par ailleurs, la technique du rayogramme m’a permis de fusionner ces deux pratiques : les dessins sont projetés en négatif et je révèle les images de la même manière que dans mes peintures, la forme et le geste sont ici superposés. L’instant de la révélation, quand l’image apparait dans une couleur rougeâtre, est presque identique au moment où la javel attaque le tissu et ou les formes apparaissent. L’acte de peindre est condensé dans ces quelques instants, c’est important de voir la chimie opérer en temps réel.
J’apprécie aussi de travailler la matière en détériorant mes supports : la javel brûle vraiment les tissus, comme l’encre et les mines de fer arrachent les fibres du papier. Je pense que ces effets agissent directement sur le système nerveux, car ces dégradations ne sont pas artificielles.
Dans vos peintures, l'abstraction est prépondérante, alors que vos dessins suggèrent des espaces plus figuratifs. Comment ces deux univers se rejoignent, dialoguent ou se confrontent-ils?
Francis Bacon disait de Giacometti: « Quand il parlait de quelque chose, il voyait toujours l’autre aspect en même temps, comme s’il tournait autour ». J’essaye souvent d’aborder mes créations de différents points de vue, d’incorporer plusieurs directions dans une même pièce.
L’esthétique de mes grandes peintures renvoie aux essais photographiques des débuts, et je me suis intéressé à la décomposition du mouvement, aux chronophotographies d’Edward Muybridge.
Sinon, il est clair que mes dessins figurent des espaces intérieurs, mais la plupart des formes qui s’y trouvent, sont souvent « mi-figuratives / mi-abstraites ». Quand je dessine, je pars souvent d’une image, prise d’un film par exemple, mais je la reproduis en insufflant de l’accident, ou j’utilise des logiciels 3d qui transforment mon image. Il apparaît alors une nouvelle structure plus intéressante, une structure « subliminale » que je retravaille. Cette structure entre la figuration et l’abstraction sera donc traduite de différentes manières.
Je travaille également sur des dessins axés sur la perspective et sur l’immersion. Je me suis particulièrement intéressé à une des peintures de Paolo Uccello : La bataille de San Romano. On y voit un chevalier agitant sa lance, dont le mouvement est décomposé en plusieurs fois. Cette façon de placer plusieurs points de vue sur le même plan (éléments considérés comme des bizarreries à l’époque) fait de lui un précurseur de la chronophotographie, près de cinq siècles avant Muybridge ou Etienne Jules Marey. Dans un certain sens, mes productions traitent d’une des problématiques majeurs de la peinture : l’illusion du temps et du mouvement dans une image figée.
Bien que faisant appel à différents médiums et techniques, vous considérez-vous comme un peintre ?
Oui, j’essaie d’aborder la peinture d’une manière plus personnelle, je pense que mon apprentissage « technique » de la peinture s’est fait sur des murs plus que sur des toiles.
Le dessin et la peinture font partie du même champ, et quand je travaille en labo photo, j’utilise les liquides révélateurs comme des encres, et la lumière comme de la peinture. Je n’ai absolument pas une démarche de photographe, même si j’adore le champ d’expérimentation qu’offre la chimie de l’argentique.
Vous opérez souvent par ajout, soustraction ou corrosion des surfaces, envisagez-vous à l'avenir d'expérimenter de nouveaux procédés ?
Pour le moment, j’essaye de pousser mes connaissances sur les produits que j’utilise. Par exemple, je voudrais m’orienter vers l’argentique couleur et réaliser des rayogrammes à la même échelle que les peintures à la javel pour avoir un geste plus ample, beaucoup plus de détails et d’accidents. J’ai aussi commencé à travailler sur du tissu rouge, le rendu est beaucoup plus organique.