Laure Vigna
Vous portez un intérêt à l’expérience de la matière, des formes produites et au processus de transformation. Pourriez-vous nous dire quels liens vous entretenez avec la nature et les matériaux, le naturel et l’artificiel ?
Ce qui m’intéresse, c’est de construire des dialogues entre différentes entités par rejet, porosité ou adaptation des matériaux. Je crée des environnements/écosystèmes qui déterminent leurs propres conditions matérielles. Quand je commence à travailler avec un matériau, je m’interroge sur son histoire. Cela apporte une forme d’épaisseur à sa plasticité.
Je recherche particulièrement ce qui n’est pas fixe, ce qui n’est pas stable. J’y vois des potentialités, c’est comme si une situation se démultipliait dans son évolution/dégradation. Des réactions en découlent. En m’intéressant aux différents états de la matière, mes sculptures explorent différentes temporalités et espaces et incarnent des formes en transition.
Ma pratique expérimentale de manipulation des matériaux m’a récemment amené à développer une partie de mon travail en fabriquant mes propres matériaux dérivés de sources biodégradables avec une durée de vie limitée dans le temps et différentes phases de dégradation (comme le bio-plastique avec l’amidon). Souvent, je fais coexister ces substances « en train d’évoluer » avec une structure sur laquelle elles viennent s’intégrer ou s’articuler. Les composants et leurs conditions se parasitent, ce qui est une manière de tester des comportements, modifiant la forme de la sculpture jusqu'à sa potentielle disparition.
Vous vous intéressez aussi aux territoires, comment influencent-ils votre pratique ?
Mes nombreux déplacements ont influencé mon rapport à la production et m’ont amené à repenser l’usage que nous faisons des matériaux et à ce que nous en laissons derrière-nous. Puis à interroger plus généralement les modes de production, l’économie/l’écologie des matériaux dans une logique de conservation, de retraitement ou à l’inverse de destruction.
J’ai commencé à travailler avec des éléments alimentaires ou organiques quand je voyageais pour des projets ou des résidences à l’étranger. C’était un moyen de trouver rapidement des matériaux en même temps que ma nourriture, mais aussi de travailler à une certaine économie et de minimiser les transports puisque la moitié partait au compost ou dans l’évier. Cette manière de travailler, en m’approvisionnant à l’épicerie la plus proche, et en travaillant dans ma cuisine quand je n’avais que mon espace domestique comme espace de travail, me permettait d’être autonome dans la fabrication de mes propres matériaux. De fait, je travaille en cuisine comme en atelier et produit des recettes-scripts qui s’adaptent aux ingrédients sur place.
Mais un territoire, c’est aussi un climat, un matériau à part entière qui informe, influence, fait évoluer la forme. D'ailleurs, un climat en viticulture (plus particulièrement en Bourgogne d’où je suis originaire) désigne une parcelle de vigne possédant sa propre histoire avec des conditions géologiques et climatiques particulières.
Les matières que je fabrique sont tributaires du contexte thermique dans lequel je les élabore, elles réagissent à leur environnement direct et dépendent des lieux, tout comme des saisons.