Dora Budor
Quelle relation entretient votre travail avec le cinéma?
Je crois que mon travail entretient une relation dynamique avec le cinéma et ses procédés de ‘création d’univers’. Dans mon travail, il y a toujours une tendance à penser non aux sujets et objets en tant que tels, mais plutôt par ce qui se joue entre eux – une situation transitoire qui existe selon certaines conditions ou atmosphères et qui produit un système complexe. De la même manière, un objet n’est jamais simplement perçu comme une chose, mais peut être considéré comme un outil, un évènement ou un instrument. Ainsi, la tendance à raconter des histoires, aussi abstraites soient-elles, est toujours là.
Contrairement à l’idée de Smithson qui considère que « passer du temps dans un cinéma, c’est faire un ‘trou’ dans sa vie », mon travail donne au corps du spectateur une fonction d’agent. Il devient un participant actif ; détermine le temps d’attention, la durée, la lisibilité de l’œuvre – et parfois même l’influence directement.
Le cinéma et l’architecture servent aussi comme modes de visualisation. Cela m’intéresse de voir les fictions cinématographiques comme des espaces architecturaux écrits, et de regarder l’architecture à travers le prisme de différents dispositifs d’observation et d’expérience. Ainsi, les mécanismes utilisés dans mon travail sont souvent proches des procédés de montage : je confronte des gros plans et des détails à des paysages en plan large, le macro au micro. Je joue d’effet d’ellipses, tisse des trames narratives parallèles. Les corps ne sont pas les seuls à se mouvoir, l’espace aussi. Il s’approche, recule, tourne, se dissout, se cristallise…
J’utilise aussi d’autres effets cinématographiques pour travailler cette sensation de temporalité stratifiée, notamment le jump-cut, le montage parallèle, le match-cut et autres raccourcis, connections ou synchronisations qui permettent de faire se rejoindre les extrémités de plusieurs arcs narratifs.
Au-delà de l’influence des peintures de J. M. W. Turner, y a-t-il des films, ou des atmosphères cinématographiques, qui ont pu inspirer la série Origin?
Bien sûr, mais ces peintures ont été choisies pour une raison particulière : on les considère, dans l’histoire de l’art, comme les toutes premières représentations de variations thermodynamiques visibles dans l’atmosphère. De cette manière, elles s’opposent à l’idée de l’histoire de l’art comme une discipline figée et préservée, imposant ces ‘images instables’ qui sont continuellement construites et déconstruites – ce qui en soit est déjà une stratégie cinématographique.