
Nicolás Lamas
Vous utilisez différents objets que l'on retrouve dans notre environnement immédiat que vous réunissez pour créer de nouveaux récits. Pensez-vous que votre pratique se rapporte à celles du collectionneur, du sociologue ou de l'archéologue ?
Je pense que c'est un mélange, mais je vois mon travail plus proche du domaine de l'archéologie. Ce qui m'intéresse le plus dans l’archéologie est l’analyse d’objets affectés par le temps. Je m’intéresse aussi à la grande marge d’erreur à laquelle notre intuition et nos spéculations sont susceptibles d’être confrontées lorsque les données d’analyse d’un objet sont insuffisantes.
Je trouve fascinant la possibilité de pouvoir façonner le passé, de combler les vides, de travailler sur le manque d’information à partir de vestiges et de fragments qui résistent à leur disparition. Je m’intéresse à la manière dont différents procédés techniques et technologiques nous aident à collecter des données sur le passé. Je m’en sers ensuite comme point de départ pour imaginer de possibles futurs.
Une autre caractéristique singulière de l’archéologie se trouve dans le désir obsessionnel de révéler, classer et organiser tout ce qui a perdu sa structure et sa symétrie à travers des processus d'usure, de décomposition, de fragmentation et de dispersion ; dans les flux de matières qui tendent vers le chaos au fil du temps ; dans la confrontation entre forces opposées : que contention et débordement soient en négociation permanente. Afin de souligner cette confrontation, j'utilise généralement des structures, des étagères, des réticules, des conteneurs ou des éléments qui forment des zones de régulation, dans lesquels différents processus entropiques coexistent et interagissent à différents niveaux. Je m'intéresse à tout ce qui brise l'équilibre au sein d'un système, proposant des lectures alternatives qui dépassent le point de vue anthropocentrique.
Considérez-vous votre travail comme une tentative de provoquer des collisions et de créer des liens entre des éléments irrémédiablement voués à disparaître ?
Je m'intéresse à la transformation d'un objet au cours de sa vie, depuis sa création jusqu'à sa disparition définitive ou son recyclage en matériau susceptible de façonner de nouveaux objets. Je pense donc que les objets ne sont pas seulement ce que nous pensons qu'ils sont. Ce ne sont pas seulement des éléments passifs qui exercent une fonction spécifique pendant un temps déterminé, mais aussi des entités actives qui affectent les contextes et la vie d'autres êtres, créant un processus dynamique complexe à mesure qu'ils se transforment et se répandent dans le monde. Bien qu'étant des entités inertes, si l'on y réfléchit, leur émergence, mobilisation, regroupement, degrés de transformation et autres caractéristiques de leur existence, produisent des schémas qui me rappellent les dynamiques qui régissent l'existence de certains organismes vivants. Ils ont une « vitalité » différente. Les corps inertes ou la décomposition des matières organiques sont également sujets à de multiples évolutions et dynamiques, malgré leur apparente inactivité. L'énergie circule et est libérée pendant que les corps et les choses changent de forme et de condition physique. En fin de compte, tout se transforme et se déplace, tout est en transition vers un autre état ou une autre condition. En ce sens, les liens entre le vivant et l'inerte, l'unique et la masse, l'organique et le synthétique, la matière et le virtuel, le doux et le dur, le chaud et le froid ou l'humain et le non-humain, sont extrêmement importants dans mon travail.